Le Jeu de l’amour et du hasard

© Vincent Arbelet

Texte de Marivaux, mise en scène de Benoît Lambert/Théâtre Dijon Bourgogne, au Théâtre de l’Aquarium-La Cartoucherie.

L’espace scénique révèle, face au spectateur, toute sa profondeur et présente, côté cour, une sorte de cabinet de curiosité avec animaux empaillés, tables anciennes et flacons, côté jardin une nature en relief des arbres en son sommet, une frondaison et des bosquets, raccord avec la nature du XVIIIème. Particulièrement réussi, ce bel espace porte le spectacle comme un personnage principal et permet à l’action de se dérouler à l’intérieur comme à l’extérieur (scénographie et lumière Antoine Franchet). Un long échange entre Silvia (Edith Mailaender) et sa servante Lisette (Rosalie Comby), ouvre la pièce, sur le thème du mariage arrangé : « Monsieur votre père me demande si vous êtes bien aise qu’il vous marie, si vous en avez quelque joie ; moi je lui réponds qu’oui ; cela va tout de suite ; et il n’y a peut-être que vous de fille au monde, pour qui ce oui-là ne soit pas vrai, le non n’est pas naturel » dit Lisette à sa maîtresse, Silvia. « Le non n’est pas naturel ; quelle sotte naïveté ! Le mariage aurait donc de grands charmes pour vous ? » répond Silvia.

Cette comédie en trois actes de Marivaux, écrite en 1730 et représentée une quinzaine de fois du vivant de l’auteur par des comédiens italiens, joue sur le travestissement et un chassé-croisé amoureux. Pour déjouer le plan d’Orgon son père (Robert Angebaud) qui complote habilement pour la marier, en compagnie de Mario son fils et frère de Silvia (Étienne Grebot), cette dernière se métamorphose en servante tandis que de servante, Lisette travestie devient la maîtresse. En jeu symétrique, le promis, Dorante (Antoine Vincenot), pour mieux observer sa future fiancée, prend la place d’Arlequin, son serviteur et Arlequin (Malo Martin) se transforme en Dorante. La pièce ne repose que sur les quiproquos qui s’ensuivent, dans ce double jeu de masques inversant les rapports maîtres-valets qui floutent la lisibilité des sentiments et leurs destinataires.

La pièce est légère et pétulante, sans grand problèmes métaphysiques ni profondeur. Le dénouement reste dans les codes classiques de la bienséance et le respect des castes sociales : le serviteur épousera la servante ; Silvia et Dorante – l’aristocrate dont elle est amoureuse – s’épouseront. Des scènes enlevées et ombrageuses, le passage du rire aux larmes, l’autorité paternelle indulgente et sur-jouée, la tentation de transgression, sont les ingrédients de ce plat d’été gentiment assaisonné.

Benoît Lambert, directeur du Théâtre Dijon Bourgogne-centre dramatique national, se plaît à explorer les classiques et met en scène la pièce. Dans le cadre du dispositif d’insertion professionnelle pour les jeunes acteurs issus des écoles supérieures d’art dramatique qu’il a mis en place en 2014, il a opté l’année dernière pour Marivaux et Le Jeu de l’amour et du hasard – scolairement bien connu – leur offrant un tremplin, en leur début de parcours professionnel et leurs premiers grands rôles. Défi relevé. Le thème du mariage arrangé dans la pièce n’est qu’un marivaudage et peu d’inquiétude accompagne le traitement du sujet où les jeux se font relativement à l’avance et mènent à un happy end.

Brigitte Rémer, le 14 octobre 2018

Avec : Robert Angebaud, Monsieur Orgon, père de Silvia – Rosalie Comby, Lisette, femme de chambre de Silvia, travestie en Silvia – Étienne Grebot, Mario, frère de Silvia – Edith Mailaender, Silvia, fille d’Orgon, travestie en Lisette – Malo Martin, Arlequin, valet de Dorante, travesti en Dorante – Antoine Vincenot, Dorante, maître d’Arlequin travesti en Bourguignon, valet. Assistant mise en scène Raphaël Patout – scénographie et lumière Antoine Franchet – son Jean-Marc Bezou – costumes Violaine L. Chartier –  coiffures et maquillage Marion Bidaud – régie générale, son et vidéo Jean-Marc Bezou – régie lumières Hugues Herbet – régie plateau Eric Den Hartog – habilleuse Anne Le Turcq – spectacle créé le 3 octobre au Théâtre Dijon Bourgogne-CDN.

Du 26 septembre au 21 octobre 2018, au Théâtre de l’Aquarium-La Cartoucherie. 75012 – Tél. : 01 43 74 99 61 site : www. theatredelaquarium.com – En tournée dans de nombreuses villes de France, voir : www. tdb-cdn.com